Personne n’a jamais compris la nature de mon pouvoir. Peu importe le nombre d’expériences scientifiques qui ont été faites sur moi, c’est un phénomène qui reste inexpliqué. En même temps, c’est normal. Je suis la seule personne vivante possédant cette capacité que j’ai de voir défiler la vie d’une personne, de sa naissance au moment présent, seulement en la touchant. Pourtant, même si je ne suis jamais sortie de ce laboratoire, j’aime parfois me laisser aller à m’imaginer n’être qu’une adolescente normale qui va à l’école et qui sort avec ses amis, alors que je sais pertinemment que cela n’arrivera jamais.
Après tout, j’appartiens au gouvernement.
Je me fais sortir de mes pensées par un gardien qui entre dans la pièce où je me trouve. De blanc vêtu, il s’approche de moi tout en restant à une distance assez éloignée pour que je ne le touche pas par accident. Remarquant son expression nerveuse, je comprends que quelque chose d’important et d’unique est sur le point de se produire. Comme pour prouver la véracité de ma réflexion, l’individu ouvre la bouche et les mots qui en sortent sonnent comme une mélodie à mes oreilles, me laissant sans voix.
Une fois ma surprise passée, je laisse un nouveau gardien, celui-ci muni de gants, m’attraper par le bras pour m’entraîner dans un dédale de couloirs d’une blancheur éclatante. Il m’emmène voir ses supérieurs, qui m’expliquent à leur tour comment se passera ma sortie et quelle sera ma mission. Telle la gentille et docile petite fille que je suis, j’acquiesce à tout ce qu’ils me disent, trop obnubilée par ce que je verrai pour écouter ne serait-ce qu’une seule de leurs paroles. Par contre, une chose reste limpide dans mon esprit.
Je vais sortir.
Au bout de quelques jours, je suis enfin prête à aller dehors et, de ce fait, une voiture me mène devant un grand bâtiment fait de briques, que je devine être l’école, dans lequel nous nous engouffrons, mon gardien rapproché et moi. Partout où j’irai, il me suivra comme mon ombre, peu importe l’endroit. J’aurais aimé pouvoir avouer être dérangée par le fait qu’un homme m’accompagne en permanence dans la salle de bain, mais, depuis le temps, j’y suis habituée...
Bref, quand nous entrons, je repère immédiatement l’élève auquel je dois me lier d’amitié et commence aussitôt à accomplir mon devoir. Contre toute attente et à la grande surprise des gardiens, je réussis habilement à entrer dans la vie de l’adolescent et, rapidement, notre lien se développe, me montrant des sentiments bien plus forts que ceux qui devraient être en vigueur dans une mission.
Quand le jour fatidique, celui où je dois achever ma tâche, arrive, je ne peux m’empêcher d’hésiter avant de poser ma main sur la peau nue de son bras. Pourtant, aussitôt que le contact se fait, j’arrête de songer à mes problèmes et j’entre de force dans la tête de mon ami. J’assiste à chaque étape de sa vie en observant par ses yeux. Au début, les images qui défilent sont assez banales, mais, au bout d’un moment, la ruse et l’accomplissement de mauvais coups prennent doucement possession des actions de l'enfant qui entre dans l’adolescence. C’est sur un site Internet où sont vendues des chansons pour quelques dollars que commence son accomplissement de crimes et, même si ça semble petit comme acte, ce n’est que le premier d’une série d’autres.
Il a continué en plagiant virtuellement les réponses de quelques examens gardées dans les bases de données de l’école, puis en allant directement sur le compte personnel d’un professeur. À quinze ans, il accomplit un premier acte ayant des répercussions sur la vie de plusieurs personnes en piratant une centaine de comptes sur le célèbre site Internet, Facebook, volant leur identité et envoyant des messages haineux et mesquins à leurs contacts, allant parfois même jusqu'à faire des menaces de mort.
Je sors brusquement de son esprit et ne peux m’empêcher de frissonner de dégoût en découvrant qui se tient réellement devant moi. Honnêtement, dire que je ne suis pas blessée qu’il ne m’ait rien dit par rapport à ses activités illégales et, je me l’avoue, complètement tordues, serait un mensonge. Je croyais qu’il se fierait à moi comme à une vraie amie, mais je commence à croire qu’il ne me considère pas comme telle.
Je m’éloigne lentement de lui et attrape la manette dans la poche arrière de mon jean pour appuyer sur le petit bouton rouge, appelant par le fait même mon gardien. Il s’approche de nous et, sans plus de cérémonie, agrippe la chemise de mon supposé ami pour le retenir en attendant que la police arrive. Moi, je recule encore plus, n’en revenant toujours pas.
-Je te croyais différente, Katy! Je croyais que tu serais de mon côté!
Il se débat et hurle, envoyant une pluie de postillons devant lui.
-Moi aussi, je croyais que tu étais différent. Différent de ce qu’ils m’avaient dit.
Au final, ma mission est accomplie.
L’adolescent est arrêté et atteint sa majorité quelques jours plus tard, devenant éligible pour la prison. Moi, de mon côté, je pleure encore et toujours ma liberté et mon amitié, toutes les deux perdues. Par contre, une chose que je sais désormais est le fait que je ne suis pas un cobaye, peu importe ce qu’ils en pensent.
Je sortirai de ce laboratoire quoi qu’il m’en coûte.